lundi 17 février 2020

Les chroniques de l'ARF N°3 : Jeanne Oddo Deflou(1856-1940)

     Les chroniques de l’ARF
L’ARF, Recherches, Sauvegarde, Patrimoine ferriérois, propose régulièrement aux lecteurs du Ferriérois des articles sur les personnages qui ont marqué la vie ferrièroise et parfois, plus souvent qu’on ne le pense, la vie nationale, ainsi que sur des évènements heureux, dramatiques ou insolites qui ont jalonné la vie des habitants. Les lecteurs sont invités à réagir et à faire part des informations ou de la documentation dont ils disposeraient, précisant ou complétant le contenu de la chronique.

Jeanne Oddo-Deflou

1856-1940
 

A l’approche de la" journée internationale des Droits des Femmes" du 8 mars prochain, cette chronique n°3 évoque une grande militante féministe de la Belle Epoque, Jeanne Oddo-Deflou.

Jeanne Deflou
Anne Marie Claire Jeanne Deflou est née à Ferrières-en-Gâtinais le 20 février 1856, rue du lion d’or. Son père, Jean Victor Deflou, licencié en droit, descend d’une famille d’aubergistes qui tenait à Montargis l’Enseigne du «Sauvage». Sa mère Marie Françoise Elisabeth Hureau est la petite fille de François Hubert Sylvestre Delon(1) , notaire et maire de Ferrières sous le Consulat et l’Empire. Elle figure parmi les bienfaitrices de l’hospice de Ferrières.
       
Jeanne reçoit l’éducation rudimentaire donnée à l’époque aux jeunes filles, et apprend le latin et le grec. Puis pour des raisons que nous ignorons, elle fait un long séjour à Londres, ce qui lui donne une connaissance de la langue et de la culture anglaise qui lui sera très profitable dans sa carrière militante, et lui permettra d’établir des liens avec les féministes anglaises. A son retour, elle s’installe à Paris comme institutrice, donnant des cours d’anglais et effectuant des traductions.

           
Le 3 janvier 1884 , elle épouse Joseph Paul Henry Oddo. Ce mariage est déterminant pour la suite de   son existence. Né à Marseille le 19 février 1844 d’une rencontre
Henri Oddo
éphémère, Henry Oddo ne fut pas reconnu par sa mère et fut abandonné par son père. Entré comme commis à la bibliothèque de la Chambre des députés, il y fait une brillante carrière qu’il termine comme bibliothécaire et chevalier de la Légion d’Honneur. Parallèlement il acquiert une certaine notoriété comme historien et écrivain. Outre un soutien sans réserve, et parfois actif, apporté au militantisme de sa femme, Henry Oddo a eu certainement une part prépondérante dans l’attachement que Jeanne a toujours apporté à la légitimité des familles et son intérêt pour le droit de la paternité et le sort des pères ou des mères délaissés et de leurs enfants. Son attitude surprenante à l’égard de sa fille et de sa petite fille, que nous évoquerons plus loin, a probablement là son origine.   
Son mari est aussi déterminant par sa position professionnelle, apportant à Jeanne un tissu de relations dans le monde politique qui fait d’elle dans les années 1900 une des principales conseillères des parlementaires s’intéressant à la question féminine.

Le couple a deux enfants nés à Ferrières : Sabine née le 16 septembre 1884 rue du Lion d’Or, et Victor né le 13 juillet 1890 rue des Charrières. Elle deviendra avocate, une des premières en France, l’ouverture aux femmes de cette profession, à laquelle Jeanne avait beaucoup contribuée, n’ayant eu lieu qu’en 1900. Lui deviendra ingénieur de l’Ecole centrale des arts et manufactures de Paris.
Jeanne Oddo-Deflou, comme elle aime s’appeler dans sa vie publique, affirme ses convictions politiques dans les années 1890. En 1893, elle est initiée dans le premier ordre maçonnique mixte, créé cette même année et qui deviendra en 1901 l’Ordre maçonnique mixte international du Droit humain. En 1898, elle crée le groupe français d’études féministes, dont elle devient la présidente. Dans ce monde extrêmement divisé du militantisme féministe de l’époque, ce groupe tranche par sa stabilité et est très vite un pôle de référence non seulement français mais européen. Jusqu’à la Grande Guerre, Jeanne est très active, adhérente à un grand nombre d’organisations, écrivant dans les multiples journaux militants. Convaincue que la cause féministe ne peut progresser que par la loi, elle apporte ses conseils et ses connaissances juridiques de façon officieuse ou officielle aux travaux parlementaires.
En 1904, elle participe devant le Palais Bourbon à un autodafé de codes civils pour en saluer le centième anniversaire, le considérant comme la base du système juridique d’asservissement de la femme.
En 1905, elle fonde avec Héra Mirtel (2)  le journal l’Entente, et en 1906, elle publie chez Taillandier à Paris « Le sexualisme, critique de la prépondérance et de la mentalité du sexe fort », ouvrage salué par nombre de journaux, sympathisants ou non(3) , dans lequel est passé en revue de façon très précise et complète tout ce qui contribue à la sujétion de la femme dans toutes les composantes de l’organisation et de la vie sociales.  En 1908, elle est secrétaire générale du Congrès national des droits civils et du suffrage des femmes qui se tient à Paris du 23 au 28 juin et elle en rédigera le compte-rendu in extenso.
Après avoir montré beaucoup de réticence à l’action violente telle que la pratiquent les suffragettes anglaises, Jeanne Oddo-Deflou se laisse convaincre de participer à une tentative de sabotage des élections municipales de 1908 ; bilan : un carreau cassé, une urne renversée, et du chahut lors d’un débat à la Chambre des députés…Alors que les Anglaises auraient été emprisonnées pour cela, les Françaises n’eurent qu’une petite amende ce qui fit dire à l’une d’elles « à ce prix-là, on peut recommencer régulièrement », ce qu’elles ne firent d’ailleurs pas.
Sa pensée allie de façon paradoxale une très grande audace dans sa volonté de libération des femmes, et un très grand conservatisme sur le plan moral. Elle est
Jeanne Oddo-Deflou ( Gallica)
convaincue que le préalable à une véritable émancipation des femmes est le droit de vote et la réforme du code civil. Mais elle se démarque très vite de nombre de ses collègues militantes par ce qui fut appelé un féminisme matriarcal. Elle considère que la condition de l'épouse en France est à peu près « la pire qui soit en Europe », mais elle ne conçoit pas la femme hors d’un cadre familial légitime et stable garantissant l’ égalité de droits et de devoirs de l’ homme et de la femme, en séparation de biens, et dans la totale indépendance de ces dernières.
 Elle est très hostile aux formes libertaires du militantisme féminin, qui le lui rend d’ailleurs avec la même virulence.
   
Après avoir perdu son mari, décédé à Ferrières-en-Gâtinais en 1906, Jeanne Oddo est profondément touchée par la Grande Guerre, qui emporte en Argonne son gendre Constantin dos Santos Malhado en 1914 puis son fils Victor en 1915. Ne lui reste que sa fille Sabine, qui semble marcher sur ses traces. Mais Sabine, veuve de guerre, accouche en 1920 d’une fille, Victoria, de père inconnu (probablement un soldat américain cantonné à Ferrières). Jeanne Oddo ne l’accepte pas et se retire alors de toute vie publique. Sabine meurt en 1938, Jeanne en 1940. Victoria peut alors seulement s’installer à Ferrières dans la maison de sa grand-mère, rue des charrières où elle finit sa vie en 1965.

Carré funéraire de la famille Deflou/Oddo au vieux cimetière de Ferrières-en-Gâtinais.
Au centre, le cénotaphe de Victor Oddo, qui repose au cimetière militaire de Boncourt.
Sabine repose avec son mari au cimetière St Vincent à Paris.
Nous ne savons pas où Jeanne est inhumée. Elle est décédée dans une maison de retraite de la région parisienne dont le lieu n’est plus dans les mémoires.


Jeanne la militante, n’est pas un cas isolé dans la descendance de Sylvestre Delon à la Belle Epoque. Son frère Augustin (1846-1913) participe en 1886 à la création du journal l’Autorité, un des derniers grands journaux bonapartistes français dont il devient rédacteur en chef ; son cousin Maurice Pujo (1872-1955), de la rue neuve des Forges, co-fonde l’Action Française en 1898 ; un autre cousin Paul Jouy (1847-1913), de la Grande rue, journaliste au Cri du peuple, le journal d’extrême gauche de Jules Vallès, est très lié avec Séverine. C’est toute une famille qui s’affronte idéologiquement à Paris mais se retrouve au village.
                                                                                               François petit


Photos : archives privées, ARF.
Sources et bibliographie : Familles de Ferrières, Archives municipales de Ferrières-en-Gâtinais, Etat civil numérisé de Paris et des Bouches du Rhône, Site Muséa.univ-angers.fr de l’Université d’Angers, Claude Maignien et Charles Sowerwine (Madeleine Pelletier, une féministe dans l’arène politique, ed. Ouvrières, 1992), Florence Montreynaud  (L’Aventure des femmes, XXème-XXIème siècles, Nathan, 2006). Sylvie Chaperon et Christine Bard (Dictionnaire des féministes, France XVIIème-XIXème , PUF 2017)

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1-François Hubert Sylvestre Delon(1761-1815), maire de Ferrières de 1801 à 1815.
2-Héra Mirtel(1868-1931), de son vrai nom Louise Grouès, était la tante de l'Abbé Pierre. Elle est surtout connue par l'assassinat de son mari, Georges Bassarabo, qu'elle tua d'un coup de révolver à Paris et dont elle expédia le cadavre dans une malle par le train où il fut découvert en gare de Nancy. Elle fut condamnée à 20 ans de réclusion.
3-Cf Le journal du 5 février 1906, L'Aurore du 6 mars 1906, le Radical du 11 mars 1906.
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ARF : patrimoineferrierois.com ; assrech.ferrieres45@yahoo.fr

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