SANS ART ROMAN, PAS DE MODILLONS
CHAQUE MOT A SON HISTOIRE
Le mot « modillon » est récent. Apparu à la Renaissance, issu de l’italien « modiglione », il s’écrit « modiglion ». Son origine est le latin populaire « motilio » qui remplace le latin classique « mutulus » désignant la tête de chevron. A noter que le même « mutilio » a donné le mot « moulon » au XIIème siècle, évolué en « moilon » au XIVème siècle puis en notre moderne « moellon » au XVIème siècle par déformation graphique de « moilon ».
Modillons et corbeaux sont des « marqueurs » de l’architecture religieuse romane des XIème, XIIème et début XIIIème siècles. Ils se trouvent généralement sur les murs extérieurs de la nef, du chevet ou des transepts. Ils peuvent aussi figurer sur la façade ouest au-dessus de la porte principale. Ils ornent les corniches séparatives des étages des clochers ou des tours-porches. Quand ils supportent la retombée des arcs ou des demi-colonnes à l’intérieur des édifices, ils prennent plutôt le nom de « consoles » ou de « culs de lampe ». Richement décorés ou non, ils n’apparaissent qu’au début XIIIème.
QU'EST-CE QU'UN MODILLON?
C’est un élément d’architecture, dit le dictionnaire Larousse,
servant à soutenir une corniche, un avant-toit ou un balcon, au même titre qu'un "corbeau". Quel corbeau ? Celui de
l’architecture n’a rien à voir avec le volatile du même nom. Le
« corbeau/corbel » du Moyen-Age tire son nom du latin
populaire « corvus » qui nomme ainsi une poutre ou une pierre en
saillie. (Notre moderne « encorbellement » est de la même famille).
Les maçons du Morvan ne parlent pas de « modillon » mais de
« corbelet bourguignon ».
Modillons et corbeaux ont la même fonction, mais les uns sont sculptés, les autres non. Ils sont à l’extrémité de grosses pierres taillées rentrant profondément dans un mur et sont souvent à la jointure de deux pierres d’une corniche.(Au Moyen-Age on ne parle pas de « corniche » mais de « larmier » pour guider l’eau du toit au-delà de l’aplomb du mur).
QUI FACONNE LES MODILLONS ?
C’est « l’imagier » et surtout pas le tailleur de pierre. A chacun son rôle et son métier. Dès le XIème siècle « l’image » est la statue. Exemple : « l’image Notre Dame » veut dire « la statue de Notre Dame ». « Imager » veut dire « sculpter ». Le mot « sculpteur » n’est utilisé qu’au début du XVème siècle sous l’influence du latin classique.
En pierre souvent calcaire facile à sculpter, les
modillons reflètent l’habileté et le degré de perfectionnement de l’ouvrier.
Les résultats sont tantôt malhabiles, tantôt naïfs, ou particulièrement soignés
et expressifs. Cependant, tout en étant un support mineur par rapport aux chapiteaux ou aux tympans
dont l’enseignement par l’image obéit à des préoccupations religieuses et
morales, les modillons présentent une créativité souvent exubérante et une grande richesse de thèmes et l’imagier
suit les consignes des commanditaires.
La liberté d’inspiration est manifeste, même si l’on peut déceler des pratiques d’atelier. A côté des formes ornementales, des illustrations des thèmes moraux habituels, il existe un bestiaire foisonnant emprunté à la mythologie ou à la faune locales et à des types de personnages issus de la vie courante.
« Arrête de faire l’âne »
« Tu manges comme un cochon »
« Elle est bête comme une oie »
« C’est un rat »
On n’a pas attendu le XXème siècle pour se comparer aux animaux. Déjà, ils sont utilisés à titre d’images dans la littérature antique, les récits bibliques et les contes traditionnels (le chien d’Ulysse, la baleine de Jonas, la cigale et la fourmi etc.)
Pour les bâtisseurs d’églises de l’époque romane, l’utilisation de l’animal comme miroir des attitudes et pensées humaines a un but moral et pédagogique ; le bestiaire participe à la distinction entre le bien et le mal, il invite de manière symbolique à suivre « la voie du Seigneur ».
Nos "imagiers" du quotidien puisent leur inspiration dans ce qu'ils ont sous les yeux, et tout en étant porteurs de sens, leurs animaux sont ceux du quotidien.
*le porc, qui fouille partout et mange n’importe quoi est le reflet de notre gloutonnerie et notre manque de discernement.
*le chien, symbole de l’attachement à son maître est le bon chien de meute qui chasse vilaines « bêtes rousses et noires » et ses oreilles longues pendantes ne trompent pas. A l’homme d’être fidèle à l’enseignement du Christ et à le défendre contre les Mauvais, à la manière du mâtin qui garde l’entrée du manoir ou de la ferme.
CHIENS DE CHASSE
ACROBATES ET MUSICIENS
Le monde antique, à travers les écrits recopiés dans les monastères et les écoles épiscopales, est connu des érudits du Moyen-Age, donc des commanditaires des églises et cathédrales.
Dotées de petites oreilles pointues comme les faunes antiques, la plupart des représentations sont assimilables au diable, au mieux à d'aimables diablotins.
Pommettes trop rondes, visage bouffi, nez épaté aux narines souvent démesurées, bouche édentée, déformée ou pourvue de dentures impressionnantes, elles sont l’émanation du mal et des vilaines pensées humaines (violence, colère, concupiscence, malveillance etc.)
Elles sont là pour évoquer les promesses du châtiment de l’au-delà, rappelant les scènes de jugement dernier des tympans romans.
Source de méditation pour tout chrétien qui veut gagner son paradis.
Diverses formes géométriques : croix, pointes de diamant peuvent orner les corbeaux.