Les chroniques de l’ARF
L’ARF, Recherches, Sauvegarde, Patrimoine ferriérois, propose régulièrement aux lecteurs du Ferriérois des articles sur les personnages qui ont marqué la vie ferriéroise et parfois, plus souvent qu’on ne le pense, la vie nationale, ainsi que sur des évènements heureux, dramatiques ou insolites qui ont jalonné la vie des habitants. Les lecteurs sont invités à réagir et à faire part des informations ou de la documentation dont ils disposeraient, précisant ou complétant le contenu de la chronique.
Pour cette chronique n°2, nous sommes le 3 juillet 1827.
Vers 2 heures du matin, les habitants de Ferrières sont réveillés par le tocsin. Pas vraiment réveillés car déjà depuis minuit le tonnerre assourdissant d’un épouvantable orage les tenait en éveil.
Mais laissons la parole au Maire de Ferrières.
Rapport à Monsieur le sous-Préfet de Montargis par le Maire de Ferrières sur l’incendie qui a eu lieu en cette commune dans la nuit du 2 au 3 juillet 1827 aux bergeries et vacheries de la ferme de Bel-Air appartenant à M. Audebert (1).
Monsieur le sous-Préfet,
Le trois juillet entre minuit et une heure du matin, un orage terrible éclata sur Ferrières, le temps était en feu. Quoiqu’à ce moment les coups de Tonnerre qui se succédaient dans presque toutes les directions fussent éloignés, ils se multiplièrent avec rapidité en se rapprochant avec une telle violence que en une heure il tomba dans plusieurs endroits, notamment sur une
portion de la ferme de Bel Air et aux lieux de la Couture(2) et de la Côte de l’étang(3); il ne se produisit aucun ravage dans les deux premiers endroits mais il n’en fut malheureusement pas de même à la ferme de Bel Air où il mit le feu. Ce ne fut qu’à deux heures que je fus informé de ce malheur, alors je fis sonner de suite le tocsin, prévenir la Gendarmerie que j’appelai et je me transportai le plus promptement possible sur les lieux avec la majeure partie de la population de ferrières; nous y arrivâmes à environ 2 heures un quart; quelques individus parvenus avant moi, du nombre desquels était Jean-Baptiste Le Loup, cultivateur, …Picault, garde forestier (ces deux derniers proches voisins) et François Porier, maître maçon avec tous ses ouvriers nous précédèrent quelques instants, déjà ils avaient fait tomber avec succès plusieurs pièces de bois de la toiture du bâtiment qui brulait. Ils s’étaient occupés d’employer tous les moyens possibles pour empêcher la communication du feu. Lorsque nous fûmes réunis et en nombre suffisant pour pouvoir établir une chaîne assez longue pour nous procurer de l’eau qui était éloignée du foyer de l’incendie, nous parvînmes à force de travail et de bras à préserver les bâtiments voisins et à concentrer le feu dans la section où le tonnerre était tombé que nous ne pouvions penser à conserver. Le feu concentré entre 3 et 4 heures du matin (heure à laquelle j’ai pu vous écrire une note), nous sommes parvenus à l’éteindre entièrement en une heure et demi ou deux heures de travail, tant au moyen de deux chaines établies aux deux seuls puits(4) que nous possédions et qui ne fournissaient de l’eau que bien lentement, qu’au moyen de tous les chevaux et voitures de la ville que j’avais mis en réquisition pour charrier de l’eau où il était possible de puiser, tellement qu’à cinq heures et demi le feu était totalement éteint.
Les moutons (à l’exception de neuf) qui se trouvaient dans le bâtiment incendié ont été sauvés par le courage de la nommée Marie Duthey, bergère de M. Audebert qui est entrée seule d’après la déclaration de ce dernier sous le chaffaud en feu et qui sans aide est parvenue à en sauver à travers les flammes 210, tant moutons que brebis. Les vaches qui étaient dans le même bâtiment au nombre de sept ont été sauvées aussi à travers le feu par le courage de M. Audebert qui n’a eu d’autre aide que celle de la fille Blaise Hurey sa domestique.
M. Verot(5) mon adjoint m’a secondé de tout son pouvoir dans les divers travaux que nous avons fait exécuter de concert avec les principaux ouvriers de la ville, et je ne saurai vous dire quels sont ceux de mes habitants qui méritent le plus d’éloge dans cette circonstance, car tous (à l’exception de 2 ou 3 que je citerai à la police comme se trouvant dans le cas de subir les peines prévues par l’art. 475 du code pénal) ont donné les plus grandes preuves de zèle et de dévouement. Nous avons à regretter qu’il y en ait de blessés, entre autre le nommé Pierre Lagarde, père de famille ouvrier maçon de Ladapaire dépt de la Creuse, présentement employé chez M. Porier que nous avons failli perdre ; placé sur le haut d’un mur pour faire tomber des pièces enflammées de la partie supérieure de la charpente, il est tombé sur un chaffaud embrasé duquel il n’est remonté que par miracle, et quoiqu‘ayant eu les pieds, les jambes et les mains brulées, il s’est replacé sur le mur où il était avant sa chute et n’a quitté son poste que lorsque son travail est devenu inutile. Le sieur Pautré, maître charpentier à Ferrières a failli subir le même sort, heureusement que comme le premier il en a été quitte pour quelques brulures aux mains et aux jambes. Les sieurs Porier, maçon, Deloince frères, charpentiers, Me Barthélémy et autres ont eu aussi des contusions et brulures plus ou moins fortes. Je crois devoir, Monsieur le sous-Préfet, vous prier de recommander particulièrement à la bienveillance de Monsieur le Préfet deux individus ci-dessus nommés Pautré et Pierre Delagarde qui se sont exposés aux plus grands dangers, je pense qu’ils en sont dignes et qu’une Récompense peut leur être accordée ainsi qu’à la bergère Marie Duthey tant par le danger extrême qu’ils ont couru que par les brulures et blessures qu’ils ont eues.
Je dois vous dire aussi que je ne puis trop me louer du Brigadier de la Gendarmerie de Fontenay et de ses Gendarmes qui ont fait tout ce qu’ils ont pu pour me seconder.
Je saisis cette circonstance, Monsieur le sous-Préfet pour vous renouveler les prières que je vous ai déjà adressées pour que vous veuillez bien prendre en Considération les diverses délibérations qui ont été prises par la Commune de ferrières relativement à l’acquisition d’une pompe à incendie; si aujourd’hui nous eussions été assez heureux pour en avoir une, nos secours auraient été bien plus prompts et bien plus efficaces car si la pluie qui tombait avec force n’eut pas contribué à éteindre le feu, nous n’aurions peut-être jamais pu empêcher l’embrasement total de la ferme qui est d’une grande importance, pourquoi je vous supplie de faire droit à nos demandes.
Agréez je vous prie l’hommage de la haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être…
Ferrières le 3 juillet 1827
Signé Fosse (6)
Deux ans plus tard, Tranquille Désiré Fosse laissait sa place de maire à François Maulmont. Nous ne savons pas ce qu’il advint des demandes de récompense. Mais L’autorisation à Ferrières de se doter d’une pompe à incendie arriva très vite…
Pompe à incendie |
Sépulture de Tranquille Désiré Fosse dans le carré funéraire familial au vieux cimetière de Ferrières. |
Françoise souchet
François Petit
Sources : Archives municipales de Ferrières-en-Gâtinais, registre des délibérations.
1-Nicolas Audebert, héritier des receveurs du domaine de Courvilaine, dont les conditions dans lesquelles il a pris possession du domaine de Bel-Air en 1793 restent à éclaircir.
2-Aujourd'hui, place Gaston Lempereur.
3-Le flanc gauche du chemin du bas de l'étang, chemin qui longe la Cléry à partir de l'Espace Saerbeck.
4-Probablement celui de la ferme elle-même, et celui, beaucoup plus loin de la queue de l'étang.
5-Edmé Verot, notaire à Ferrières.
6-Tranquille Désiré Fosse, né le 26/9/1795(5 vendémiaire an 3) de parents aubergistes à Bonnebosq(Calvados), décédé à Ferrières le 15 janvier 1836, maire de Ferrières de 1821 à 1829.
Photos : ARF